Elle est dotée de petites fleurs blanches et a tendance à tout envahir. Communément appelé la fausse roquette, le Diplotaxis est une herbe dont Michel Bouisson se serait bien passé, dans la prairie qu’il réserve à l’alimentation de ses chevaux d’attelage. Mais pour s’en débarrasser, il n’aura pas recours aux pesticides. Ce matin-là, il a convié Franck Chevallier, consultant en permaculture, pour dresser un diagnostic de la parcelle concernée. “Les nouvelles générations d’agriculteurs ont besoin d’analyser la terre, ils n’ont pas envie d’aller à la coopérative chercher de l’engrais mais plutôt de chercher des solutions que la nature peut apporter elle-même”, explique Romain Criquet, coordinateur au sein de l’association Cultures permanentes. Et le prélèvement effectué ce matin-là dans le sol, chemin du Mas de la musique, à Graveson, est édifiant.
“Ici il faudrait arriver à diviser les pâtures en paddock pour faire du pâturage tournant et laisser le temps aux plantes de repousser”, explique Franck Chevallier, pour qui laisser sécher les plantes n’est pas non plus une bonne solution, car les végétaux vivants, avec leur système racinaire, vont participer à la régénération des sols : “La plante, c’est l’intermédiaire entre la photosynthèse et le sous-sol, elle envoie de la sève dans les racines qui déclenche la vie du sol.” Le paysage, dans cette conception, joue un rôle important, en permettant à la nature de se régénérer elle-même, par une bonne occupation de l’espace.
Et Michel Bouisson est prêt à franchir le cap. “J’aimerais arriver à instaurer un cycle naturel des prairies”, affirme cet amoureux des chevaux d’attelage, qui ne vit cependant pas d’agriculture.
Ici, la permaculture se fait urbaine, autour de 160 espèces pérennes comestibles
Car aujourd’hui, la permaculture, méthode théorisée dans les années 70 par les Australiens Bill Mollison et David Holmgren qui consiste à intervenir a minima sur les cultures, et à s’inspirer des écosystèmes naturels pour cultiver différentes espèces, n’en est qu’à ses balbutiements dans le monde agricole. “Les gens qui vivent de leur production en permaculture sont très peu nombreux, souligne Fabien Bouvard, chargé de mission bio à la Chambre régionale d’agriculture. Cela fait partie des secteurs innovants, la permaculture se diffuse par un réseau parallèle avec beaucoup de consultants privés.”
L’association Cultures permanentes fait partie de ces pionniers, et compte sur l’expérimentation menée au mas de Michel Bouisson pour éclairer d’autres agriculteurs et, pourquoi pas, essaimer dans le monde professionnel. “Nous avons 10 000 ans d’agriculture derrière nous qui ont dégradé les sols et aujourd’hui, on entrevoit la possibilité de faire autrement”, assure Franck Chevallier qui conseille des professionnels un peu partout en France.
Ce travail de longue haleine, commence par la sensibilisation du grand public. Au théâtre du Centaure, à Marseille, la compagnie a profité de son installation dans un nouveau lieu, à l’automne dernier, pour créer une sorte de laboratoire de permaculture, avec la complicité de Cultures permanentes. Les deux formateurs y proposent des stages, et reçoivent aussi les scolaires, voire tout simplement des habitants du quartier. “Tout à l’heure, une dame est venue avec des graines”, se réjouissent les deux animateurs, Cristiano et Romain, tandis qu’une classe de collégiens s’apprête à venir visiter les lieux. “Ceux qui ont accès au bio ne sont pas forcément ceux qui en ont le plus besoin”, analyse Romain, “nous misons sur un effet levier, préalable au changement des régimes alimentaires”. Ici, la permaculture se fait urbaine, autour de 160 espèces pérennes comestibles, qui interagissent entre elles et se prolonge même dans le quartier, à travers des repas partagés. Retisser les liens entre l’homme et la nature, c’est aussi l’esprit de cette agriculture dite “permanente”.
“Un jardin peut s’autogérer”
À La Bastide Marin, site classé de la Ville de La Ciotat, l’exploitation de l’hortus – jardin en latin – en permaculture par l’association La Ciotat il était une fois s’est imposée d’elle-même. “L’ensemble de la propriété est en bio, donc c’était pousser un peu plus loin la démarche“, confie Marion Solé, présidente de La Ferme d’autrefois, l’une des associations qui se partagent l’espace naturel autour de la bâtisse. Et dans le potager entretenu par les bénévoles, les préceptes de la permaculture sont appliqués en toute simplicité. Comme le tumulus, cette structure surélevée, sorte de millefeuilles fait de paille, végétaux verts, terre… Ici les espèces interagissent et se protègent mutuellement, comme les soucis et oeillets d’Inde qui éloignent certains insectes, ou l’ail au pied des fruitiers. Même les animaux sont mis à contribution, pour le fumier qu’ils produisent bien sûr, mais pas seulement. “Nos canards coureurs indiens mangent les escargots et les limaces sans toucher aux plantes.”
Le lieu très agréable, mène tout un travail avec les écoles de la commune et reçoit aussi les particuliers qui souhaitent s’initier à la permaculture : “Beaucoup de gens se disent un potager, ça prend du temps et ça coûte de l’argent. Nous leur montrons qu’un jardin peut s’autogérer“, poursuit Marion Solé qui mise sur l’apprentissage des enfants : “On part de la graine jusqu’à la dégustation, pour qu’ils prennent conscience que c’est toute une chaîne.”
http://www.lafermedautrefois.com
Marie-Cécile Berenger
Source : http://www.laprovence.com/article/papier/4602444/la-permaculture-essaime-dans-les-jardins-de-provence.html
Crédit photo : Florian Launette